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Cinq enseignants d'histoire en Allemagne

15/05/2015

Nous avons interrogé en 2009 cinq enseignants d’histoire – Corine Breton-Schaaf, Christof Miszori, Klaus Pfiffer, Valérie Schnaithmann et Christian Zwink – sur leur discipline. Voici la synthèse de leurs réponses.

Double compétence

La plupart des professeurs d’histoire enseignent également le français dans les établissements bilingues en Allemagne. Ainsi, Christof Miszori enseigne le français, l’histoire et l’instruction civique (sa collègue, une Française, enseigne uniquement l’histoire-géographie). Corine Breton-Schaaf, qui est elle aussi locutrice native, enseigne pour sa part l'histoire en langue française, de la 7e à la 10e classe, les sciences économiques et sociales, au premier semestre de la 11e classe, puis de nouveau l'histoire et enfin la géographie, en 12e et 13e classes. Elle assure également le cours supplémentaire de deux heures des 5e et 6e classes. Mais, tient-elle à préciser, "cela varie d'un établissement à l’autre".

"Avoir le même groupe en français et en histoire, c'est parfait !"

Le fait d’enseigner les deux matières peut être un moyen de renforcer sa compétence linguistique : "Donner des cours de français m'entraîne encore plus. Avoir le même groupe en français et en histoire (en français et en allemand), c'est parfait !" Cette double compétence permet également, selon Christian Zwink, "de changer de perspective, de relativiser les certitudes de l’histoire nationale, malheureusement encore très répandues".

"Depuis maintenant dix ans, ajoute Klaus Pfiffer, les nouveaux professeurs d’histoire en section bilingue ont une formation supplémentaire qui s’ajoute à la formation normale en allemand."

L’évaluation

Le risque n'est-il pas d'évaluer le niveau en langue des élèves plutôt que leurs connaissances historiques ? "Non", répondent les enseignants que nous avons interrogés. "Ce sont les connaissances historiques qui sont évaluées, affirme ainsi Corine Breton-Schaaf. Les fautes de langue sont seulement corrigées." Pour Christof Miszori, "la langue n'est qu'un instrument dont les élèves se servent. Ils ont en plus un cours d'histoire en langue allemande pour se rattraper". Christian Zwink précise qu’il s’agit d’appliquer une "règle" : évaluer exclusivement les connaissances historiques. "Pour les élèves qui essayent de toujours s'exprimer en français, il y a un système non officiel de gratification positive, mais pour les autres, il n’y a pas de sanction."

Selon Valérie Schnaithmann, les élèves "peuvent toujours utiliser leur langue maternelle". Les cours d'histoire en français sont juste un "atout supplémentaire" : "les collégiens ont également des cours d'histoire en allemand" et leurs notes dépendent donc de ces deux cours. Quant aux lycéens, "ils n'ont que des cours d’histoire en français mais parlent en règle générale assez bien la langue". Valérie Schnaithmann précise qu’elle "ne note pas la langue mais le contenu". Seul problème : "pour les épreuves écrites, si je ne comprends vraiment pas… Mais cela n'arrive pas souvent."

L’alternance des langues

"Nous parlons en français le plus possible, indique Klaus Pfiffer. L’emploi du français augmente progressivement, jusqu’à ce qu’au niveau du lycée les élèves soient capables de s’exprimer presque toujours en français. Au niveau du collège, les élèves parlent encore souvent en allemand." "Dans les trois premières années des cours bilingues, ajoute Christof Miszori, il y a beaucoup de phases de cours en allemand, mais à partir de la dixième classe, les cours se passent uniquement en langue française."

Christian Zwink établit le même constat : "Au fur et à mesure, le français est progressivement utilisé dans les cours. Au début, c’est un cours bilingue à proprement parler, plus tard (seconde, première, terminale), le cours se fait, à quelques exceptions près, exclusivement en français."

"Je traduis les termes techniques en allemand, car ce sont des cours bilingues."

Pour les cours d’histoire, Valérie Schnaithmann utilise les deux langues : "Cela dépend de l’âge. Avec les élèves de 6e, je parle un peu plus en allemand, avec les lycéens plutôt le français, mais je traduis les termes techniques en allemand, car ce sont des cours bilingues." Corine Breton-Schaaf essaye le plus possible de parler en français mais, de la 7e à la 9e, doit souvent "passer à l’allemand". Pour éviter d’avoir à traduire systématiquement, elle se sert de documents iconographiques. Ses élèves s’approprient progressivement le vocabulaire historique.

Comment s’opère le passage d’une langue à l’autre ? Christian Zwink pense qu’il est souhaitable de faire "une coupure", par exemple lorsque l’on passe à la discussion. Parfois, "c'est difficile à gérer, reconnaît-il. Quand il y a des problèmes de compréhension, il est de mise, pour l'économie de l’enseignement, d’expliquer en allemand. Le travail sur les textes et documents se fait normalement en allemand, les débats souvent en langue maternelle, surtout quand les élèves souhaitent contribuer, mais ne trouvent pas les moyens de s’exprimer. Pour éviter cette frustration due au décalage entre savoir et maîtrise de la langue étrangère, la langue maternelle est utilisée".

"Mes élèves sont assez motivés pour parler en français. Je n’ai pas à les y obliger."

Pour Valérie Schnaithmann, le passage d’une langue à l’autre se fait simplement : "Dès que je me rends compte qu’ils ne comprennent plus ou quand les élèves ont eux-mêmes vraiment envie de parler leur langue maternelle (discussions difficiles, etc.), ils peuvent l’utiliser. Mes élèves sont généralement assez motivés pour parler en français. Je n’ai pas à les y obliger, juste de temps en temps à les motiver, mais, normalement, ce n'est pas nécessaire."

Il semble enfin qu’il n’y ait pas de directives officielles en Allemagne sur cette question de l’alternance des langues, seulement des "recommandations", précise Christian Zwink.

Une autre perspective historique

Pour Christian Zwink, si les débuts sont difficiles, petit à petit, les élèves parviennent à remettre en question certaines visions par trop simplistes de l’histoire, ils apprennent à relativiser, à modifier leur jugement. Le fait de travailler avec des manuels français change la perspective, indique Valérie Schnaithmann, "la comparaison de l’histoire française et allemande est enrichissante". Corine Breton-Schaaf s’arrête également sur les manuels français qui sont souvent "plus illustrés, plus attrayants pour les élèves". Cela favorise "l’ouverture d’esprit". Ce changement de perspectives est un atout pour l’apprentissage de l’histoire, pour l’ensemble des enseignants que nous avons interrogés. D’une certaine façon, faire de l’histoire, c’est "mieux connaître son voisin", remarque Christof Miszori.

Les documents

"Il n'y a presque pas de documents didactisés", regrette Christof Miszori. "Il n'y en a que très peu pour l'enseignement bilingue", ajoute Christian Zwink qui précise cependant que "cela pose moins de problèmes pour les lycéens que pour les élèves de collège". Didactisés ou non, l’essentiel est de partir de documents, semble indiquer Corine Breton-Schaaf. Son conseil : travailler sur les lettres des Poilus.

"Pour traiter de l’histoire allemande, il n’est pas toujours facile de trouver des vidéos en français."

Klaus Pfiffer pioche dans les livres d’histoire en français (tableaux, graphiques, extraits, etc.). Il se sert aussi parfois du manuel allemand correspondant au niveau de compétences des élèves. "Cela dépend du sujet", précise-t-il. "J’utilise aussi des vidéos dans les deux langues, mais pour traiter de l’histoire allemande, il n’est pas toujours facile de trouver des vidéos en français." Les caricatures sont également un bon support pour Valérie Schnaithmann et Christof Miszori.

Enfin, les élèves de Christian Zwink, ont travaillé sur le discours de Victor Hugo, prononcé le 18 mai 1879 à l’occasion d’un banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage. D’après Christian Zwink, ils ont été particulièrement surpris de "voir un humaniste dans cet adepte de l’impérialisme français de l’époque".

Le manuel d'histoire franco-allemand

"Extraordinaire, très bien fait et réussi", selon Christof Miszori. "Nous travaillons avec les deux exemplaires (première et terminale) dans les 12e et 13e classes. Les élèves les apprécient."

Pour Corine Breton-Schaaf, ce manuel est "tout à fait adapté" : "J’ai jusqu’à maintenant utilisé celui de terminale pour la préparation de mes cours et à partir de février, mes élèves vont utiliser celui de première. C'est une initiative très positive, les sources nous sont très utiles. J'apprécie particulièrement les tableaux comparatifs entre les deux pays."

"C’est bien fait et d’une grande aide", ajoute Christian Zwink, qui tient cependant à préciser que certains chapitres ne sont pas "suffisamment documentés". C’est donc une "ressource pédagogique parmi d’autres". "J’utilise les deux et cela marche bien", indique pour sa part Valérie Schnaithmann. Même si, ajoute-t-elle, "les documents écrits sont beaucoup trop courts, mes élèves trouvent tout de suite les informations clés, c’est donc trop facile et un livre de professeur manque clairement".

Klaus Pfiffer l’utilise aussi régulièrement, surtout le "volume bleu" (récemment paru). Le volume rouge (après 1945) devrait être amélioré, selon lui (les sources devraient être plus variées et détaillées). "Mais c’est une bonne base d’orientation, tient-il à préciser, pour le travail individuel des élèves."

(Propos recueillis par courriel entre le 18/01/09 et le 06/02/09)