Marielle Sage et César Quelle Vidal sont professeurs d’histoire et géographie en section bilingue française à l’IES Juan de Mairena à San Sebastian de los Reyes.
Les sections Bachibac ont été mises en place en Espagne à la rentrée scolaire 2011, suite à l’accord sur la double délivrance du baccalauréat français et du Bachillerato espagnol signé le 10 janvier 2008 par les ministères français et espagnol de l’Éducation. Ces sections proposent aux élèves des classes de Bachillerato (équivalent des classes de 1re et de Terminale en France) un enseignement spécifique de langue et de littérature françaises ainsi qu’un enseignement d’histoire dispensé en français (discipline dite non linguistique ou DNL), qui préparent au double diplôme. Plus de 40 établissements scolaires répartis dans 9 régions espagnoles sont désormais engagés dans ce projet et ont adopté le dispositif. Outre ces établissements, on dénombre quelque 342 sections bilingues francophones reparties dans l’ensemble du pays.
Quelle est la particularité des programmes d’histoire enseignés en sections Bachibac ?
Les programmes d’histoire enseignés au Bachibac sont des programmes mixtes qui intègrent des thématiques de l’histoire de l’Espagne et de l’histoire de la France. Les chapitres se concentrent avant tout sur l’histoire contemporaine de ces deux pays contrairement au programme classique espagnol qui traite prioritairement de l’histoire de l’Espagne. L’histoire politique tient une place importante par rapport à l’histoire sociale qui n’apparaît que dans certains chapitres.
En quoi les méthodes d’enseignement de l’histoire en français diffèrent-elles de celles utilisées pour l’enseignement "classique" de cette discipline en Espagne ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
La principale différence entre l’enseignement de l’histoire en France et en Espagne concerne la méthodologie. Le modèle pédagogique espagnol classique s’articule principalement autour des connaissances alors que le modèle français s’attache à mettre en valeur les savoir-faire.
Ainsi, l’outil pédagogique principal de la classe d’histoire en Espagne est le manuel. Il s’agit du support principal d’apprentissage. Les cours sont souvent construits autour de la trame proposée par le livre utilisé. En histoire, les thèmes traités sont organisés de manière chronologique, à la fois au collège et au lycée. En général, les classes sont assez magistrales, la théorie occupant la place la plus importante du cours. Un exposé est construit par le professeur afin de faciliter l’acquisition des connaissances. Les activités réalisées sont en lien avec les contenus théoriques et les sources premières sont moins travaillées qu’en France. En effet, les documents, en Espagne, sont davantage utilisés comme des illustrations qui permettent de mieux comprendre les faits expliqués par le professeur, alors qu’en France, ils sont étudiés en tant que sources à partir desquelles peut se construire la théorie.
Lors des évaluations espagnoles, il s’agit de reformuler les contenus théoriques étudiés en classe, mais il y a aussi des analyses de documents. La dissertation n’est pas un exercice proposé. La problématique ne tient pas la place importante qu’elle a en France puisqu’il ne s’agit pas de construire une réflexion mais de reformuler des connaissances. Globalement, les élèves espagnols ont donc des connaissances plus précises des faits par rapport aux élèves français mais leurs commentaires de document sont moins développés.
Ainsi, le programme d’histoire espagnol est davantage factuel que le programme français qui cherche à donner un sens plus réflexif et plus dynamique aux thématiques traitées. En réalité, cette différence met en avant deux modèles de pensée propres à chacun des pays.
L’enseignement bilingue de l’histoire dans les sections françaises des établissements espagnoles permet de concilier les deux méthodologies afin de diversifier les capacités des élèves.
La comparaison des concepts historiques en différentes langues permet souvent de mettre en avant des variations culturelles de sens qui en améliorent la compréhension. Est-ce le cas entre les langues espagnole et française ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis ?
L’historiographie espagnole a beaucoup été influencée par l’historiographie française mais les cours d’histoire dans les classes bilingues mettent en effet en valeur des différences conceptuelles puisque sont abordées en classe des notions spécifiques, propres à la conceptualisation française ou espagnole.
Quelques exemples rencontrés en classe de 4e de la ESO (classe de 2de en France) peuvent être évoqués :
- Guerre totale : le terme, central dans les nouveaux programmes français, n’apparaît que dans quelques manuels scolaires espagnols.
- Totalitarismes : en France, le stalinisme est traité comme un régime totalitaire dans les programmes du collège et du lycée. En Espagne, l’URSS de Staline est souvent étudiée à part, dans la continuité de la Révolution russe.
- "Brutalisation" ou "ensauvagement" des sociétés : ces concepts, certes beaucoup discutés en France, ainsi que celui de "banalisation" de la violence sont absents des chapitres espagnols traitant des conflits mondiaux.
- Autodafé : en Espagne le mot est uniquement utilisé dans le contexte de l’Inquisition alors que son usage en France est plus large (autodafé de 1933 en Allemagne…). Les Espagnols utilisent le terme quema de libros.
- Le génocide arménien : il ne s’agit pas là d’un concept mais l’on peut noter que cet événement n’est pas abordé dans les manuels espagnols alors qu’il apparaît en France dans les classes de 3e et de 1re.
Les enseignants d'histoire en français qui exercent dans le cadre des sections Bachibac en Espagne suivent-ils une formation spécifique ?
La formation des enseignants varie beaucoup d’une communauté à l’autre. Dans la communauté de Madrid, les enseignants espagnols exerçant dans les sections bilingues et dans les sections Bachibac doivent tout d’abord posséder le niveau C1 ou C2 de français (le niveau B2 dans plusieurs autres communautés). Ce niveau doit être validé par une École officielle de langues. Les Écoles officielles de langues sont des établissements d’enseignement public qui forment un réseau de centres spécialisés dans l’apprentissage des langues. Elles dépendent des rectorats de chaque communauté et les professeurs qui y enseignent sont des fonctionnaires recrutés sur concours. Les diplômes obtenus dans ces écoles sont les seuls décernés par le ministère de l’Éducation espagnol. Les enseignants peuvent également justifier leur niveau de langue par un Diplôme approfondi de langue française (DALF) ou un Test de connaissance du français (TCF) niveau C1 ou C2. Si les professeurs ne sont pas en possession de ces diplômes, ils peuvent alors être amenés à passer un examen écrit et un entretien conduit par un jury constitué de professeurs de FLE et d’enseignants de DNL expérimentés. Selon les communautés, il existe différents stages et cours de formation pouvant porter, par exemple, sur l’élaboration de séquences didactiques en DNL. L’offre de formation pour les professeurs de DNL, est comme en France, assez déficitaire par rapport aux demandes du corps enseignant.
César Quelle Vidal
Professeur d’histoire-géographie en section bilingue française
IES Juan de Mairena
San Sebastian de los Reyes
Marielle Sage
Professeure d’histoire-géographie Jules Verne
Section bilingue française
IES Juan de Mairena
San Sebastian de los Reyes
(Propos recueillis par courriel en mai 2015)