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Entretien avec l'attaché de coopération pour le français à l'Institut Français du Maroc

15/04/2019
Entretien

Entretien recueilli le 26/02/2019 par Le fil du bilingue avec Arnaud Pannier, attaché de coopération pour le français à l'Institut Français du Maroc. Cet entretien a pour sujet la politique linguistique et la place du français au Maroc

 

Quelle place la langue française occupe-t-elle aujourd’hui au Maroc ?

Si la langue française est officiellement présente au Maroc depuis le début du protectorat français en 1912, son statut a néanmoins évolué au fil du temps. Elle fut une langue officielle sous le protectorat puis est devenue la première langue étrangère obligatoire dans le système scolaire. En parallèle à une politique d'arabisation qui dès l'Indépendance, a cherché à marquer l'autonomie et l'identité d'une nation, un consensus a accordé au français un statut privilégié dans la vie sociale et professionnelle, ainsi que dans l'enseignement. Le français ne bénéficie pas d'un statut de droit. Cependant, sa présence est institutionnalisée dans la mesure où elle est valorisée dans certains champs : les secteurs éducatifs, administratifs et littéraires notamment. Le français est une langue véhiculaire, garante, pour celui qui la maîtrise d'un certain prestige social.

Le Maroc se situe à un moment important de son histoire linguistique. Le pays a choisi de moderniser ses structures de gouvernance sociétale, à travers la nouvelle constitution votée en juillet 2011 qui voue une place importante aux langues (article 5, voté le 1 juillet 2011). Cette constitution porte le projet de création d'un Conseil dédié aux langues. Les réformes éducatives actuelles, soutenues par le palais, témoignent d’une volonté de rompre avec la tentation d’une préférence, souvent régionale, pour un monolinguisme arabe. Elles œuvrent pour un engagement pour la modernité et le plurilinguisme, et le français semble en voie de retrouver une place importante dans le système éducatif. Mais depuis, pour beaucoup de Marocains, le français est bel et bien devenu, une langue étrangère, qui gagnerait sans doute à être enseignée comme telle.

Quelles sont les spécificités du dispositif d’enseignement bilingue francophone au Maroc ? 

La réforme marocaine se déploie dans le cadre de la Vision Stratégique 2015-2030. Dans un contexte de massification de l’enseignement supérieur, cette réforme part du constat qu’une proportion importante de la jeunesse marocaine ne parvient pas à suivre des études universitaires lui permettant de s’ouvrir à un environnement international et à intégrer de façon efficace le marché de l’emploi.

La réforme consiste à proposer un enseignement scientifique dans « une grande langue de communication internationale ». Depuis 2013 dans les lycées et depuis la rentrée scolaire 2017-2018 au collège, les enseignements de Physique, Mathématiques et SVT sont dispensés en français auprès de publics de plus en plus nombreux. Par ailleurs, le français a été introduit en première année du Primaire et a été renforcé dans les autres années de ce cycle. Les autorités éducatives réfléchissent également à favoriser l’éveil scientifique des élèves en français. On en revient donc progressivement à une situation qui prévalait dans les années 80. Il faut toutefois noter que cette réforme autorise le déploiement des cursus scientifiques dans une autre grande langue de communication internationale : l’espagnol ou l'anglais notamment. Faute de professeurs, 98% des filières internationales sont francophones.

 

Effectifs des Sections internationales

 

 2013-2014

2014-2015

2015-2016

 2016-2017

 2017-2018

Nombre total d'établissements en SI

7

202

443

593

1 722

Nombre total de sections SI

21

374

1 380

2 195

6 417

Nombre d'élèves en SI

554

9 926

34 482

54 287

184 195

 

 

 

 

 

 

 

 

De quelle manière le service de coopération éducative soutient-il l’enseignement bilingue francophone au Maroc ?

La coopération franco-marocaine en matière d’appui aux sections internationales francophones trouve sa légitimité dans l’accord bilatéral du 18 février 2014, signé par M. V. Peillon et M. R. Benmokthar.

L’Institut Français du Maroc (IFM) s’est pleinement engagé auprès de ses partenaires marocains à travers la mobilisation des 12 instituts de son réseau et de l’Alliance française de Safi. Ces établissements ont pu créer un environnement pédagogique et linguistique favorable à la réforme à travers l’action des médiathèques et des services culturels. De nombreuses actions de formation sont déployées toute l’année, auprès des enseignants de français et de sciences sur l’ensemble du territoire. Environ 5 000 enseignants sont ainsi touchés à travers l’organisation d’universités et de séminaires. L’IFM peut être considéré à ce titre comme l’un des opérateurs majeurs de formation continue au Maroc. Il oriente toutes ses actions autour de priorités définies conjointement en liaison avec les autorités académiques : la didactique des disciplines non linguistiques (DNL), ou les approches pédagogiques innovantes notamment.

Par ailleurs, l’Institut Français du Maroc a engagé d’importants moyens à travers des programmes ambitieux :

  • Le programme Astre (Appui à la stratégie de l’Education au Maroc) de l’Agence française de Développement accorde un prêt budgétaire de 80 millions d’euros et une subvention de 500 000 euros fléchée en partie sur l’appui aux sections internationales ;
  • Un fonds appelé FSPI a par ailleurs été accordé au Maroc en mai 2018 par le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. C’est un volume financier de 250 000 euros sur deux années qui permettra de renforcer le dispositif de formation de formateurs en ciblant tout à la fois le renforcement linguistique et la didactique des disciplines non linguistiques.

On peut aussi citer, comme modalité d’intervention de l’Institut Français :

  • La création d’une plateforme numérique de formation autour des Disciplines Non Linguistiques ;
  • La création de référentiels et de matériel destinés au renforcement linguistique des enseignants de DNL ;
  • Le soutien aux partenariats inter-académiques, notamment ceux susceptibles de renforcer l’environnement francophone dans les établissements scolaires.

 

Quels sont les défis et les perspectives qui se dessinent pour l’enseignement bilingue au Maroc dans les années à venir ?

Jusqu’à présent la réforme, même si elle est critiquée par des contre-courants, garde le vent en poupe. Cela est grandement dû aux excellents résultats obtenus au baccalauréat : 91% de réussite lors de la session 2016 (environ 1 000 candidats) et 97% de réussite lors de la session 2017 (environ 8 000 candidats), alors même que le taux de réussite national au baccalauréat est d’environ 50%. La réforme renforce une image positive du système éducatif marocain... Les sections internationales francophones ont une bonne image dans la communauté scolaire, notamment auprès des familles. Toutefois, des freins perturbent encore grandement le pilotage de la réforme ; le manque de formation des enseignants, notamment, à l’instar des enseignants contractuels.

Quel est le devenir des élèves des sections bilingues ?

Les élèves des sections internationales apparaissent avant tout comme une élite susceptible d’intégrer les filières universitaires les plus prestigieuses, notamment les établissements à accès régulé. Il semble aussi que les élèves qui ont fréquenté les classes internationales témoignent plus fréquemment de leur intention d’engager un projet de mobilité ce qui autorise un renforcement par exemple, des relations universitaires franco-marocaines, déjà très dynamiques. Toutefois, ce dispositif a tendance à renforcer certains clivages au sein d’un système éducatif très hétérogène et inégalitaire. C’est un défi pour l’avenir.

 

Le Fil du bilingue remercie M. Arnaud Pannier, attaché de coopération pour le français, d’avoir bien voulu répondre à nos questions.