En 20 ans, l’enseignement du et en français dans les classes bilingues a gagné en efficacité et en qualité, au point de devenir un modèle pour d’autres enseignements bilingues qui tentent de se mettre en place au Vietnam. M. Pierre-Yves Turellier, attaché de coopération éducative à l’ambassade de France au Vietnam, dresse un bilan de ce programme et de ses évolutions, présente les actions mises en place par l’ambassade et ses partenaires à destination des enseignants et des équipes d’encadrement (formations, séminaires, aide au pilotage, recherche…) et des élèves (activités culturelles), et dessine les perspectives de ce dispositif, dans un contexte marqué par la réforme de l’enseignement des langues au Vietnam.
Le Vietnam a célébré en juillet 2014 le 20ème anniversaire du programme des classes bilingues. Quel bilan peut-on dresser de ce programme ?
L’état du mois d’octobre 2014, montre qu’il y a au total au Vietnam : 8 035 classes primaires bilingues ; 4 876 classes de niveau secondaire (collège et lycée) bilingues ; 12 911 apprenants bilingues ; 300 enseignants de français et de DNL qui sont les mathématiques et la physique.
Les parents placent leurs enfants dans les classes bilingues avec le français car ce sont des filières de qualité dans des écoles d’excellence, mais aussi parce que les effectifs sont moins chargés que dans les classes ordinaires : 30 élèves au maximum au lieu de 60 élèves par classes. Les résultats d’une enquête menée par le CREFAP/OIF (2013-2014) témoigne de cette situation « le choix des parents d’élèves est motivé d’abord par la qualité et l’environnement pédagogique de l’école ainsi que par sa notoriété avantageusement accessible pour certain parents "hors zone" via la filière bilingue ».
Comment ce programme a-t-il évolué au cours de ces 20 années ?
L’enseignement/apprentissage du français dans les classes bilingues est devenu de bonne qualité, grâce à la présence active de l’ambassade de France et de l’OIF. Il devient maintenant un modèle pour d’autres enseignements bilingues au Vietnam qui tentent de se mettre en place.
D’autre part, les enseignants de français et des disciplines non linguistiques (DNL) sont formés, lors des stages de formation continue financés par l’AUF (avant 2006), et par l’ambassade de France et le CREFAP/OIF (depuis 2006 jusqu’à aujourd’hui). Ce sont les rares enseignants vietnamiens à bénéficier de formation continue régulière et suivie.
Les enseignants des classes bilingues ont donc la possibilité de se libérer de leurs cours afin de bénéficier de cette formation continue. Ceci aide, d’une part à mieux assurer le suivi des applications méthodologiques sur le terrain, et d’autre part à les impliquer dans de nouvelles modalités comme les évaluations appuyées sur le CECR, par exemple.
Il y a au Vietnam un attrait historique pour la langue et la culture françaises. Pourtant, depuis quelques années, les jeunes Vietnamiens se détournent du français au profit de l’anglais, au point que plusieurs classes bilingues ont dû fermer ces dernières années. Comment expliquez-vous ce recul du français dans un pays de tradition pourtant francophile ?
La francophilie est encore très forte, mais le pays est engagé dans une réforme de l’enseignement des langues, appelé "plan 2020". Cette orientation privilégie le tout anglais. Cette tendance se retrouve aussi, en partie, dans le choix des familles. Pourquoi ? Parce que dans un pays où l’on ne pratique qu’une seule langue vivante obligatoire, ce choix est orienté par une représentation forte de l’anglais, perçu comme un sésame pour l’emploi futur. N’oublions pas que ce pays scolarise 18 millions de jeunes et que la concurrence scolaire, comme sur le marché de l’emploi, est très forte : Les élèves passent un examen d’entrée à l’université, à l’issue de leur scolarité et selon son cursus scolaire, on ne peut pas accéder à toutes les formations supérieures de la même façon.
Par ailleurs, jusqu’en 2006, les enseignants des classes bilingues recevaient un sursalaire, ainsi que les chefs d’établissement bilingues, les comités de pilotage (central et provinciaux). À partir de 2006, les classes bilingues ont été transférées au ministère de l’Éducation et de la Formation vietnamien et ces sursalaires de toutes ces catégories de personnels ont été arrêtés.
L’enseignement bilingue est soutenu au Vietnam à la fois par le ministère de l’éducation et de la formation, l’ambassade de France, mais aussi les autres institutions francophones, notamment l’OIF à travers le projet Valofrase et le Centre régional francophone d’Asie-Pacifique (CREFAP). Comment s’articulent vos actions avec celles de vos partenaires sur ce projet ? Quel est le rôle spécifique de l’ambassade de France sur le programme des classes bilingues ?
Initialement, l’ambassade de France s’occupait des classes bilingues et l’OIF des langues vivantes 2. Mais, dans les faits, de nombreuses actions sont menées conjointement. De même, les crédits du projet Valofrase ont bénéficié aux structures, en complète concertation.
L’ambassade de France mène des actions conjointes avec l’OIF/CREFAP : ainsi, nous lançons une enquête sociolinguistique, pour avoir un état des lieux précis de la situation du français au Vietnam. Cette enquête sera menée jusqu’au mois de juin 2015. Ses conclusions devront servir à proposer un plan d’actions, adapté et pertinent.
L’ambassade de France accompagne le ministère de l’Éducation et de la Formation vietnamien dans sa réflexion actuelle sur la réforme de l’enseignement des langues. Il s’agit de jouer un rôle d’expert, sans pour autant imposer quoi que ce soit.
Les actions linguistiques, au Vietnam, sont facilitées par l’attitude positive de nos partenaires et comme je l’ai déjà dit, de la francophilie encore très active.
La phase 2 du projet Valofrase a été lancée en 2012. Quelles sont les actions en cours concernant le dispositif d’enseignement bilingue au Vietnam ?
En 2014, nous avons proposé des actions de formation continue pour tous les enseignants de français des écoles primaires, à Hanoi. Nous avons également formé 10 enseignants de français de différents niveaux (école, collège, lycée) à l’université d’été, régionale, à Haiphong. Une autre formation a permis de toucher des professeurs de mathématiques pour les DNL. Une autre encore a soutenu un projet d’étude d’enseignants-chercheurs autour de l’enseignement du français au Vietnam. Valofrase a également permis de soutenir 3 séminaires nationaux et régionaux pour les chefs d’établissement bilingues et les cadres de gestion éducative. Enfin, un séminaire régional « recherche action » de jeunes enseignants chercheurs, francophones a été organisé à Hanoi, en novembre 2014.
Comme vous pouvez le constater, ces actions sont nombreuses et couvrent un champ très large.
Pouvez-vous nous parler de l’offre culturelle mise en place par l’ambassade de France dans les classes bilingues depuis le début de l’année 2014 ?
L’ambassade organise des activités extrascolaires, en français, le week-end, pour les élèves des classes bilingues, encadrées par des locuteurs natifs. Des films à destination de la jeunesse seront projetés les dimanches après-midi, à partir de janvier 2015.
Ponctuellement, et selon les ressources, nous organisons des spectacles et des visites, en français : autour de Jacques Prévert en décembre 2014, visites de sites culturels sur Hanoi. Un espace enfant a été aménagé à la médiathèque de l’Institut français du Vietnam, « l’Espace ».
Les enseignants des classes bilingues ont été conviés à la réception du 14 juillet, à l’ambassade. De même, parallèlement à la fête des enseignants, traditionnelle au Vietnam, fin novembre, nous avons organisé une fête des classes bilingues à laquelle nous avons convié les enseignants, les parents et les élèves. Chansons, théâtre et bonne humeur étaient au programme !
Quelles sont les prochaines perspectives qui se dessinent pour l’enseignement bilingue au Vietnam ?
Nous travaillons actuellement avec le ministère sur la structure elle-même afin de permettre des entrées dans la filière au-delà de la première année, mais aussi pour être attentif aux sorties du système afin que ces élèves ne soient pas « perdus pour le français » ! Dans ce cadre, une réflexion sur les programmes est également en cours, comme les autres programmes de langues, au Vietnam.
Nous envisageons également de proposer à nos partenaires, une orientation plurilingue en introduisant quelques heures d’anglais. Ainsi, à l’issue de leur scolarité, ces élèves auront abordé trois langues : le vietnamien et le français, maîtrisés à un niveau élevé, et l’anglais avec un niveau scolaire. Ces compétences, discriminantes sur le marché de l’emploi, devraient permettre d’apporter une réponse aux interrogations légitimes des familles.
Nous organiserons, en octobre 2015, des assises de la diversité linguistique, à vocation régionale.
Le système éducatif vietnamien et le contexte général a fortement évolué depuis 20 ans. Les élèves des classes bilingues, excellents et habitués à fournir un travail important et rigoureux, devraient pouvoir accéder à un large éventail de formations supérieures. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pour cela, il convient de revoir les programmes afin de ne pas déséquilibrer leurs compétences, et leur donner le plus grand choix d’orientation possible.
Propos recueillis par Haydée Maga,
département langue française du CIEP, décembre 2014