Créé en 1996 à l’initiative de Georges Charpak, prix Nobel de physique, le programme La main à la pâte (LAMAP), qui vise à développer un enseignement des sciences fondé sur l’investigation, a été introduit au Vietnam dès 2000, d’abord au sein des classes bilingues francophones du primaire. Ce projet bénéficie de l’appui de l’ambassade de France au Vietnam, de l’association « Rencontres du Vietnam », du programme de coopération internationale Valofrase (Valorisation du français en Asie du Sud-Est), mais également, depuis 2011, du ministère vietnamien de l’éducation qui a choisi d’institutionnaliser ce programme. Mme Elisabeth Plé, formatrice pour l’association, est intervenue à plusieurs reprises au Vietnam pour former les enseignants à la méthodologie LAMAP. Elle en explique le principe et revient sur les circonstances dans lesquelles le programme a été mis en œuvre dans ce pays.
Comment enseigne-t-on, traditionnellement, les sciences au Vietnam ?
Les situations que l’on rencontre le plus couramment sont l’exposé de l’enseignant ou le cours dialogué. Les élèves suivent la leçon sur le livre et répondent aux questions de l’enseignant. La connaissance est survalorisée par rapport à la démarche d’acquisition de savoir.
Les méthodes pédagogiques promues par LAMAP, en privilégiant une démarche de découverte et d’expérimentation, rompt donc assez fortement avec cette tradition. Pouvez-vous nous décrire brièvement en quoi consiste cette démarche d’investigation ?
La main à la pâte consiste à mettre les élèves dans une situation où, sous la médiation de l’enseignant, ils se posent des questions, émettent des hypothèses et cherchent à trouver des réponses en privilégiant l’observation, l’expérimentation voire la modélisation. Les outils langagiers sont particulièrement mobilisés. Les élèves tiennent un « cahier d’expériences » qui contient des écrits personnels (des idées a priori, des explications personnelles, des évaluations), des écrits de groupe (proposition d’un protocole d’expériences, résultats), des écrits institutionnels (les conclusions tirées par la classe). Ces activités donnent lieu à des débats entre élèves. L’enseignant exploite les erreurs pour créer des interactions entre élèves.
Depuis quand le Vietnam s’intéresse-t-il à cette démarche ?
La coopération avec le Vietnam procède d’abord d’une rencontre avec l’association « Rencontres du Vietnam », dès les débuts de La main à la pâte, à la fin des années 90. Sous l’impulsion conjointe de son président, le physicien Jean Tran Than Van et de l’Académie des sciences en France, des actions ont pu être mises en place, notamment des stages de formation d’enseignants vietnamiens en France.
Une phase d’expérimentation a commencé à Hanoi en 2000, qui concernait 4 classes bilingues francophones. Un programme spécial La main à la pâte a été proposé en 2001 aux étudiants de l’Ecole normale supérieure de Hanoi. Une équipe de recherche en didactique des sciences sur la démarche d’investigation a été mise en place.
Parallèlement, sont organisées depuis 2002 des formations de formateurs et d’enseignants avec l’appui de l’association « Rencontres du Vietnam » et de l’ambassade de France. Entre 2002 et 2012, près de 1200 enseignants, formateurs et responsables administratifs ont participé à ces actions.
Le programme Valofrase mis en place depuis 2006 a également permis d’intensifier les actions de formation, en particulier à destination des enseignants des classes bilingues.
Quelle place la démarche La main à la pâte occupe-t-elle dans les programmes officiels vietnamiens ?
Depuis 2011, les autorités éducatives vietnamiennes se sont impliquées dans le programme en signant une résolution prévoyant le déploiement du projet « Mise en œuvre de La main à la pâte de l’école primaire au lycée » pour la période 2011-2015. Des consignes ministérielles, mises en œuvre depuis la rentrée 2012, ont incité à l’expérimentation de la démarche d’investigation dans des classes des 63 provinces et villes du pays. La main à la pâte s’inscrit dès lors dans une dynamique générale de rénovation de l’enseignement des sciences au Vietnam, qui devrait être institutionnalisée par l’écriture des nouveaux programmes de sciences en 2015.
Les enseignants disposent-ils d’outils particuliers pour les aider à intégrer cette démarche dans leur classe ?
Les enseignants des sections bilingues francophones ont la chance de pouvoir utiliser les ressources mises en lignes par La main à la pâte sur les différents sites français. Quelques traductions de documents pédagogiques et scientifiques proposés par La main à la pâte ont également été réalisées en vietnamien. C’est notamment le cas de la collection « Graines de sciences ». Des guides pédagogiques liés aux programmes vietnamiens ont par ailleurs été réalisés dans le cadre du plan 2011-2015. Signalons aussi le livre, La démarche "La main à la pâte" – Enseignement des sciences à l’école primaire au Vietnam, coécrit par deux participants au séminaire international La main à la pâte, qui a fait l’objet d’une réédition par le ministère en juillet 2012 afin de proposer un document commun pour tous les enseignants. Le site web lapamvietnam.edu.vn propose également un certain nombre de ressources, et sera prochainement nourri par des apports ministériels. Enfin, quelques films ont été réalisés par le ministère dans des classes vietnamiennes. Néanmoins, les documents à destination des enseignants sont encore trop peu nombreux et il sera nécessaire d’élaborer de nouveaux supports dans les années à venir.
La démarche La main à la pâte est intégrée dans les classes bilingues francophones au Vietnam. Est-ce qu’une formation particulière a été prévue pour les enseignants de ces classes ?
La démarche LAMAP a donné lieu à des formations spécifiques pour les classes bilingues, en particulier dans le cadre du programme Valofrase. Depuis quelques années, je croise régulièrement des enseignants de classes bilingues dans les formations où j’interviens pour le compte du ministère de l’Éducation du Vietnam. Dans la mesure où le ministère s’est emparé de ce type de méthodologie, cette démarche n’est plus spécifique aux classes bilingues.
Une adaptation de la démarche "La main à la pâte" a-t-elle été prévue pour ce dispositif particulier ? La dimension linguistique est-elle prise en compte dans l’expérimentation scientifique ?
La méthodologie préconisée dans la démarche La main à la pâte met en œuvre le langage comme outil principal pour réaliser les investigations (argumentations, débats, utilisation importante des écrits…). De plus ce langage est convoqué dans des situations où le référent empirique est partagé par tous les élèves. Ce sont donc des situations de choix pour développer des compétences linguistiques, aussi bien syntaxiques que lexicales.
En savoir plus :
La fondation La main à la pâte
La fiche de l'implantation de LAMAP au Vietnam
Propos recueillis par Haydée Maga,
département langue français du CIEP, décembre 2014