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Révolution bilingue à New York

29/11/2016

 

À New York, le programme pour l’enseignement bilingue français-anglais a débuté en 2007, avec l’ouverture de la première classe d’immersion à Brooklyn. Depuis, une véritable "révolution bilingue" a pris place dans les écoles publiques de la ville. Souvent conçues sous l’impulsion de parents d’élèves, ces classes bilingues s’adressent non seulement aux familles françaises qui s’expatrient à New York, mais répondent aussi aux besoins d’un nombre croissant d’enfants francophones, issus de diverses immigrations et apprenant nouvellement l’anglais, et de familles américaines intéressées par un enseignement bilingue ou par la langue française. Fabrice Jaumont, attaché éducatif à l’ambassade de France à New York, présente les particularités de ce dispositif et les défis auxquels le programme doit aujourd’hui faire face pour répondre à une demande en pleine expansion.

Quelles sont les spécificités du dispositif d’enseignement bilingue français-anglais à New York ? 

C’est grâce à son dynamisme et à sa diversité que la communauté francophone de New York occupe une place unique dans la ville. Forte de 22 000 enfants vivant dans des foyers où le français est parlé au quotidien, la francophonie new-yorkaise bénéficie d’un dispositif bilingue polycéphale. Portées par des groupes de parents à travers la ville depuis une dizaine d’année, et grâce au soutien de nombreux acteurs, des alternatives gratuites ont été ajoutées à l’offre déjà proposée par les écoles privées. En septembre 2016, on recensait 1 500 élèves, dans dix écoles publiques proposant une filière français-anglais, et 2 500 dans cinq établissements homologués. Si ces derniers se retrouvent à l’est de Manhattan, de l’Upper East Side à Grammercy Park, les écoles publiques en question sont principalement situées au nord-ouest de Brooklyn et dans la zone regroupant Harlem et l’Upper West Side. 

 

Les solutions de scolarisation en français qu’on trouve en ville sont à la fois différentes et complémentaires. D’un côté, les établissements privés offrent des programmes homologués par la France, de la maternelle jusqu’à la terminale. Certains établissements proposent également le programme de baccalauréat international, dit de Genève. Les programmes en deux langues des écoles publiques suivent, quant à eux, le cursus et les objectifs de la ville et de l’État de New York, de la maternelle jusqu’au secondaire. Les enfants francophones qui ne sont scolarisés ni dans l’une ni dans l’autre de ces options suivent parfois des cours de soutien en français après l’école, comme ceux proposés par le French Heritage Language Program ou par l’association Éducation en français à New York. Il est important de noter cependant qu’une grande majorité des enfants francophones de la ville ne bénéficie d’aucune solution de scolarisation en français, d’où la nécessité d’élargir au plus vite ce dispositif, notamment par le biais du système public new-yorkais, pour éviter l’érosion inéluctable du français dans ces familles.

 

« L'immersion partielle, ou 50-50, est de rigueur à New York. »

 

Dans les écoles publiques, les contenus sont traduits en français ou exploitent des ressources en français permettant d’enrichir le cursus et de l’adapter à un contexte bilingue. Le nombre d’heures hebdomadaires enseignées en français varie entre 10 et 25 heures en fonction des écoles. Avec de nombreux élèves francophones testés et catégorisés comme "apprenants  d’anglais", les filières dites "double langue" (dual language) de New York doivent, contrairement aux filières d'immersion en français d’autres États, se conformer aux dispositions prévues par les lois de l'État de New York en ce qui concerne l'apprentissage de l’anglais langue seconde aux immigrants. Ces règlements exigent que les apprenants non-anglophones, aux niveaux débutant et intermédiaire, reçoivent au moins 360 minutes d'enseignement en anglais langue seconde chaque semaine. Par conséquent, l'immersion partielle, ou 50-50, est de rigueur à New York, bien que certaines écoles dérogent à la règle pendant les premières années d’instruction.


À New York, on enseigne en français dans un nombre croissant d’écoles publiques grâce aux parents d'élèves qui ont mené leur "révolution bilingue".

 

Certaines filières bilingues au niveau élémentaire sont structurées sur un modèle "côte-à-côte" où deux enseignants partagent deux classes ou deux groupes d'élèves. Un enseignant enseigne uniquement en français et l'autre enseigne en anglais seulement, en alternance tous les deux jours. D’autres filières sont structurées selon un modèle dit "autonome" où un professeur enseigne dans les deux langues. Dans le modèle autonome, les enseignants enseignent soit en français le matin et en anglais l'après-midi, soit ils alternent les journées entre l'enseignement du français et l'enseignement de l’anglais. Au collège, l’histoire et la géographie sont les disciplines généralement enseignées en français, et ce pour un total de huit à neuf plages horaires d'enseignement par semaine.

Qu’est-ce qui motive aujourd’hui les familles new-yorkaises à inscrire leur(s) enfant(s) dans un programme bilingue français-anglais ?

Bien qu’issus de milieux socio-économiques et d’origines ethniques divers, les parents francophones partagent la même volonté d’offrir à leurs enfants une éducation bilingue de qualité. Parmi eux, on distingue des expatriés européens et canadiens à Manhattan et au nord de Brooklyn, des ouest-africains à Harlem et dans le Bronx, des Haïtiens et des nord-africains dans le Queens. Ces filières bilingues favorisent l'intégration des familles expatriées ou immigrées dans le contexte local et encouragent la diffusion du français auprès de familles installées de façon plus permanente, qu’elles soient francophones ou non. Les profils de ces familles sont variés. Phénomène récent, on constate que de plus en plus d'employés de grandes banques ou d'entreprises de high-tech, de cosmétiques, d'assurance scolarisent leurs enfants dans ces filières. Pareillement, les familles américaines anglophones, friandes de ces options publiques ou privées, recherchent également une éducation susceptible d’apporter les bénéfices du bilinguisme à leurs enfants. Ce dernier point, très en vogue actuellement aux États-Unis, surtout chez les familles de classe moyenne, est un facteur de développement prometteur pour ces filières. 

« L'enseignement bilingue est devenu synonyme d’excellence et de réussite scolaire. »

Quand elles sont bien encadrées, les filières bilingues publiques offrent une alternative sérieuse tant elles proposent, d’une part, un curriculum de qualité, porté par des enseignants qualifiés et, d’autre part, un accès gratuit à une instruction partagée entre deux langues. Les résultats scolaires des enfants inscrits dans ces programmes bilingues sont d’ailleurs excellents, ce qui accroit encore plus la popularité de cette offre. De ce fait, l'enseignement bilingue est devenu synonyme d’excellence et de réussite scolaire, image que l’on retrouve plus aisément dans les établissements homologués. La qualité des filières publiques francophones est dorénavant reconnue par la France qui a attribué en 2016 le LabelFrancÉducation à sept écoles publiques de la ville. 

Destination Brooklyn à New York : un reportage de l’émission Destination Francophonie de TV5MONDE

 

Quels défis et quelles perspectives se dessinent pour l’enseignement bilingue francophone à New-York dans les prochaines années ?

La demande est croissante depuis l’ouverture des premières filières publiques francophones en 2007. Bien qu’élargie, la quantité de places disponibles reste insuffisante : les plus jeunes font face à une rude compétition à l’entrée et certaines écoles se voient obligées de refuser la moitié des demandes. Depuis la création des premières filières francophones, ce sont plus de 1 000 familles qui n’ont pu inscrire leur enfant, faute de places.  

 

De plus, il y a pénurie d’enseignants bilingues répondant aux critères établis par l’État et la ville de New York. Pour être recruté par une école publique, un enseignant doit avoir la carte verte, ou la nationalité américaine, et la certification de l’État. New York n’autorise pas l’accueil de professeurs étrangers, détachés ou non, sans exiger l’obtention de ce certificat, ce qui ralentit l’essor de ces filières.

 

L’absence de matériel scolaire en français qui réponde aux exigences des programmes est également une source de problèmes, lesquels peuvent avoir un impact sur la charge de travail des enseignants et, à terme, sur leur collaboration à long terme. Une récrimination fréquente des enseignants concerne le temps qu’ils doivent consacrer à la recherche de ressources pédagogiques adaptées. 

 

Le manque de continuité entre les cycles primaire et secondaire est également néfaste à la pérennité du dispositif. L’enseignement bilingue est offert principalement dans les écoles primaires et s’interrompt, à quelques rares exceptions, au niveau du collège, la priorité pour les lycéens étant de préparer l’entrée aux universités, principalement américaines. Se pose plus crûment encore, à ce stade, le problème du recrutement d’enseignants qualifiés et de l’accès à du matériel adapté, notamment pour les sciences sociales.

 

En conclusion, la force se retrouve dans les chiffres. Tandis que des classes sont ajoutées chaque année et que davantage d’écoles offrent ces programmes dans la ville et sa périphérie, le nombre croissant d’élèves et de professeurs devrait susciter une attention plus particulière de la part des autorités scolaires. Pour réussir, ces filières francophones nécessitent également un engagement soutenu de la part de la direction des écoles, ainsi que des apports financiers externes qui permettront de soutenir systématiquement la formation des enseignants, l’achat de ressources et le développement du dispositif. 

 

Les écoles qui hébergent ces programmes bénéficient de la diversité des familles qu’elles accueillent et du personnel enseignant capable d’incorporer leurs différences linguistiques et culturelles dans une pédagogie innovante et ouverte sur le monde. Les parents francophones, aux origines ethniques et sociales pourtant bien différentes, sont devenus des faiseurs d’opportunités et d’accès à une éducation bilingue de qualité. Ceci, aussi bien pour leurs enfants que pour les enfants de foyers non francophones. Ce faisant, les familles francophones ont réussi à consolider le lien linguistique qui les unit et à renforcer la présence du français dans cette ville-monde par le biais d’une révolution bilingue qui ne cesse de conquérir les cœurs à New York et dans d’autres villes. 

 

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