Ce glossaire a pour objectif d’expliciter et de définir les concepts utilisés dans le dossier consacré à l'enseignement bilingue en Afrique subsaharienne. Il s’intéresse principalement aux statuts politique, éducatif et familial des langues.
Langue / dialecte
La première catégorisation distingue dialecte et langue. Cette séparation renvoie à des critères idéologiques ou scientifiques. On attribue à Max Weinreich la formule "une langue est un dialecte avec une armée et une marine" (1) qui montre bien la distinction tout à fait politique entre les deux. Le terme de dialecte peut ainsi être chargé d’une valeur dépréciative, opposé au prestige d’une langue officielle ou majorée. Cependant, d’un point de vue plus scientifique, un dialecte désigne une "variation régionale ou sociale d’une langue". L’intercompréhension sert de démarcation mais elle est floue et parfois difficile à placer. Les critères idéologiques et scientifiques interfèrent souvent si bien que les débats sont nombreux sur beaucoup de langues.
Langue officielle / nationale / endogène
Langue internationale de grande diffusion
La dichotomie langue officielle / langue nationale porte sur des domaines distincts. La langue officielle renvoie en effet à un principe géographique et fonctionnel. Une langue est officielle si elle est reconnue de facto ou par des textes réglementaires comme la langue, ou une des langues, d’un État ou d’une structure étatique autonome. Ce statut fait d’elle la langue des administrations et d’un certain nombre d’institutions : parlement, justice, école, etc. La notion de langue nationale renvoie elle à un principe ethnique et à un statut (cf. ci-dessous). La langue nationale est celle d’une communauté. Peut-être théoriquement appelée langue nationale toute langue parlée par une communauté.
En Afrique subsaharienne, on fait souvent la distinction entre les langues internationales (dites aussi langues internationales de grande diffusion) et les langues endogènes. Issues principalement de la colonisation (2), les langues internationales sont en petit nombre : anglais, français, italien, espagnol et portugais. La notion de langue endogène désigne les nombreuses langues qui sont parlées par des communautés considérées comme locales (ici, langue endogène est donc synonyme de langue nationale). Les langues endogènes sont africaines, les langues internationales ne le sont pas. La catégorisation de langue internationale rejette donc bien souvent des langues endogènes qui sont pourtant parlées dans plusieurs pays : le kiswahili, le poular, etc.
Sur ce continent, les notions de langue nationale et de langue endogène sont distinctes. Les langues endogènes renvoient aux deux mille langues africaines utilisées. Les langues nationales sont les langues qui, en nombre plus restreint, sont reconnues par des textes officielles comme telles : langue nationale est donc le statut spécifique d’un petit nombre de langues reconnues car parlées par un nombre suffisant de locuteur. Ce statut leur donne un accès (souvent très théorique) à une politique linguistique active de normalisation ou de promotion. Elles sont parfois utilisées comme langue de l’école.
Langue de scolarisation / enseignée
Une langue de scolarisation est utilisée à l’école. Elle doit être obligatoirement pratiquée par les élèves, qu’elle soit maternelle ou non. On parle également de langue d’enseignement. Elle n’est pas une simple discipline scolaire dans la mesure où elle sert de vecteur pour l’enseignement - apprentissage des autres disciplines. Elle joue ainsi "un rôle de médiation par rapport aux autres champs du savoir" à la différence d’une langue enseignée qui est une discipline comme une autre. Le français est par exemple une discipline scolaire au Kenya alors qu’il est langue de scolarisation en Côte d’Ivoire, c’est-à-dire qu’il sert de medium d’apprentissage des mathématiques, de l’histoire, etc.
Trois aspects sont à prendre en compte concernant la langue de scolarisation :
- c’est la langue de l’entrée formelle dans l’écrit pour la plupart des enfants (en dehors d’une éventuelle première littératie dans le cadre familial). C’est primordial dans la mesure où ces objectifs d’accès à l’écrit (graphie, lecture, écriture) sont tellement importants qu’ils sont quasiment identifiés à l’école primaire. De plus, son monopole de vecteur écrit la rend indispensable pour l’accès aux autres disciplines ;
- ce rôle de la langue majeure la renforce (standardisation orthographique, réflexion syntaxique systématique) et fait d’elle une langue commune, celle de la communauté scolaire mais au-delà aussi. La standardisation lui donne une représentation unifiée qui en fait un facteur de cohésion, d’intégration et d’appartenance collective ;
- cette image d’unification cache des variations (les genres du discours dans les disciplines, les différentes normes de communication, etc.) qui ne sont en général pas enseignées et qui peuvent être sources de difficultés pour les élèves (ou de réussite si elles sont prises en compte et viennent enrichir les répertoires individuels).
Langue première / langue seconde
La langue première remplace le concept de langue maternelle qui est difficile à définir et très connoté (il fait référence en outre à la mère, alors que la langue première peut être celle du père ou d’aucun des deux parents). Langue première fait référence à deux facteurs : l’ordre d’apprentissage et le contexte. "Il s’agirait ainsi de dénommer la langue acquise la première par le sujet parlant dans un contexte où elle est aussi la langue utilisée au sein de la communication" (Cuq, 2003). Langue maternelle et langue première font référence à la spontanéité, à un usage naturel et aisé, alors que les situations sociolinguistiques décrites dans ce dossier sont compliquées et diverses. En effet, il peut être difficile de définir le niveau en langue d’un locuteur natif. Celui-ci a intériorisé les règles grammaticales ce qui lui permet d’émettre des jugements de grammaticalité d’un énoncé ou d’appropriation à une situation sans pour autant pouvoir expliquer ce jugement. "La syntaxe de la langue utilisée par un locuteur natif adulte est extrêmement complexe et largement inconsciente" (Conseil de l'Europe, 2005). Une langue première n’est pas forcément singulière car dans certaines situations de bilinguisme, une personne peut développer en parallèle deux langues et être ainsi parfaitement bilingue.
Le concept de langue seconde renvoie à une langue différente de la langue première et acquise dans le cadre de situations sociales qui peuvent être très variées. Par exemple, un enfant sénégalais de langue première peul pourra également avoir le wolof et/ou le français comme langue seconde, en fonction des situations auxquelles il est confronté : en effet, le français et le wolof sont des langues véhiculaires utilisées au Sénégal dans les médias, dans l’administration, dans la vie quotidienne, etc.
Notes
1. Roland Breton l’attribue au maréchal Lyautey.
2. À l’exception de l’arabe.
Rérérences
- Baggioni Daniel, Langues et nations en Europe, Payot, 1997.
- Bonvini Emilio, Busuttil Joëlle et Peyraube Alain, Dictionnaire des langues, PUF, 2011.
- Breton Roland, Atlas des langues du monde, Editions Autrement, 2003.
- Calvet Louis-Jean, Les politiques linguistiques, PUF, coll. "Que sais-je ?", 1996.
- Calvet Louis-Jean, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Hachette, 1999.
- Conseil de l'Europe, Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Didier, 2005 [lien].
- Coste Daniel, Les langues au cœur de l’éducation. Principes, pratiques, propositions, EME Éditions, 2013.
- Cuq Jean-Pierre, Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et langue seconde, ASDIFLE / Clé international, 2003.
- Neveu Franck, Dictionnaire des sciences du langage, Armand Colin, 2004.
- Simonin Jacky et Wharton Sylvie, Sociolinguistique du contact. Dictionnaire des termes et concepts, ENS Éditions, 2013.