Pour répondre à la diversité sociolinguistique, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne ont fait le choix de mettre en œuvre un enseignement dans plusieurs langues. Dans la plupart des cas, les langues sont des mediums successifs d’apprentissage. La langue première ne sert qu’aux premières années du fait des nombreuses difficultés de mise en œuvre d’un enseignement dans plusieurs langues.
![Classe Dakar](/sites/default/files/inline-images/Classe-Dakar_0.png)
© Boubacar Touré Mandémory / OIF
Les langues internationales héritées de la colonisation se sont souvent imposées comme langue de l’école en Afrique subsaharienne : seules ou à côté d’une ou plusieurs langues nationales. Lorsque l’école prévoit un enseignement dans plusieurs langues, on parle alors d’enseignement bilingue. Mais "bilingue" désigne bien souvent plus les élèves / locuteurs que les systèmes éducatifs.
Plusieurs classifications de ces systèmes d’enseignement bilingue existent. La plupart de ces catégorisations varient en fonction d’un facteur : la place accordée à la (aux) première(s) langue(s). Ainsi, une première grande distinction divise les enseignements bilingues en deux types :
- les enseignements dits "consécutifs" : l’élève apprend dans une première langue puis change de langue d’apprentissage après quelques années. À la fin de la scolarité obligatoire, il n’apprend plus que dans une seule langue ;
- les systèmes dits "additifs" où l’élève apprend dès le début de la scolarité ou après quelques années dans deux langues et ce jusqu’à la fin de sa scolarité.
En Afrique subsaharienne, malgré le multilinguisme généralisé, beaucoup de pays n’intègrent qu’une langue dans leur système éducatif, souvent la langue internationale officielle (Angola, Bénin, Centrafrique ou encore la Sierra Leone). Dans bien des cas, l’utilisation d’une seule langue officielle est promue comme un facteur d’intégration nationale.
Cependant, de nombreux pays prévoient des dispositions éducatives permettant d’enseigner également dans au moins une langue endogène. Dans la plupart des cas, il s’agit de modèles consécutifs : la langue africaine n’est utilisée que pendant quelques années pour faciliter les premiers apprentissages des élèves avant de passer à une langue internationale. Beaucoup de pays prévoient une transition précoce, c’est-à-dire intervenant dans les premières années de la scolarité : Zambie, Seychelles, Namibie, Lesotho, Malawi, Ghana, République démocratique du Congo, etc. Plus rarement, la transition se fait vers la fin de l’enseignement de base : Madagascar, Mozambique, Swaziland, Tanzanie ou encore Ouganda.
Les spécialistes différencient le curriculum formel (l’ensemble des préconisations éducatives officielles) du curriculum réel (ce qui se passe effectivement dans les écoles). On pourrait faire la même distinction en ce qui concerne les politiques linguistiques éducatives. Beaucoup des préconisations décrites ci-dessus ne sont pas forcément appliquées de manière uniforme sur l’ensemble du territoire des pays concernés. Ces dispositions ne concernent également bien souvent que l’enseignement public. Les écoles privées appliquent souvent d’autres systèmes. Dans certains pays enfin, l’enseignement bilingue n’est qu’expérimenté, parfois depuis très longtemps. Au Niger, plusieurs programmes ont été implantés depuis 1973 mais jamais généralisés.
La mise en œuvre d’un enseignement bilingue se heurte bien souvent à de nombreuses difficultés parmi lesquelles :
- le choix des langues : beaucoup de langues africaines ne sont pas codifiées ou dotées d’un système d’écriture stabilisé. Dans beaucoup de pays, les langues sont nombreuses et toutes ne peuvent être utilisées à l’école ;
- la conception des matériels pédagogiques et la formation des personnels éducatifs : mettre en œuvre un enseignement bilingue implique en effet des coûts importants que beaucoup d’États ont des difficultés à prendre en charge. Il faut concevoir des supports pédagogiques pour toutes les années et les disciplines concernées, il faut accompagner les enseignants par de la formation et recruter les enseignants qui maîtrisent les langues concernées mais il faut également former les inspecteurs qui vont encadrer les enseignants et de nombreux personnels du système éducatif ;
- la gestion de la carte scolaire : l’enseignement dans plusieurs langues endogènes se fait souvent par zone géographique, ce qui vient compliquer la mobilité éventuelle des enseignants et des élèves.
Les systèmes appliqués en Afrique subsaharienne sont donc qualifiés de "consécutifs", c’est-à-dire qu’à un moment donné dans sa scolarité, l’élève va devoir passer d’une langue d’enseignement à une autre. Ce passage fait dans la majorité des pays l’objet de peu de préconisations à l’échelle des systèmes éducatifs. Les systèmes consécutifs, que l’on appelle parfois systèmes "de transition", devraient donc être qualifiés de système sans transition. Au Burundi, les élèves apprennent en kirundi jusqu’en 4e année et commencent leur 5e année en français. En Zambie, ils commencent également dans une des sept langues nationales pour continuer en anglais en 5e année. Rares sont les pays qui essayent de faciliter ce passage qui s’avère pourtant extrêmement difficile à franchir pour beaucoup. En Ouganda, la 4e année est une année de transition mais dans les faits, l’enseignement est autorisé dans les deux langues seulement au deuxième trimestre.
Un programme francophone : ELAN
Soutenue par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le ministère français des Affaires étrangères et du Développement international (MAEDI), l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et l’Agence française de développement (AFD), l’initiative Écoles et langues nationales en Afrique (ELAN) vise depuis 2011 à mettre en place, de manière expérimentale, un enseignement bilingue / plurilingue articulant langues nationales et langue française dans plusieurs pays d’Afrique. Le premier partenariat associait le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, le Mali, le Niger, la République démocratique du Congo et le Sénégal, rejoints en 2016 par la Côte d’Ivoire, la Guinée, Madagascar et le Togo. À travers ce projet, décliné dans des plans nationaux par les autorités éducatives des différents pays, il s’agit de développer un bilinguisme consécutif à l’école primaire, en utilisant les langues nationales pour transmettre les fondamentaux en début de scolarité, puis en introduisant progressivement le français comme langue d’enseignement, en s’appuyant sur une pédagogie convergente.
Destination francophonie - le programme ELAN au Bénin, mai 2016
Liens utiles
- Le site de ELAN
- Chaîne du CIEP, interview d’Adama Ouedragogo, Senior Education Specialist, Banque mondiale
- Reportage Euronews "L’école à l’épreuve du bilinguisme", 2012
- AFD "L’éducation, la chance de l’Afrique. 10 ans de projets en faveur de l’éducation : bilan et perspectives", 2012
Rérérences
- Association pour le développement de l'éducation en Afrique, Guide de politique sur l’intégration des langues et cultures africaines dans les systèmes éducatifs, ADEA / UNESCO / UIL, 2010.
- Association pour le développement de l'éducation en Afrique, L’enseignement bilingue au Niger, 2010.
- Beacco Jean-Claude et Byram Michael, De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue : Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, Conseil de l’Europe, 2007.
- Oorganisation internationale de la Francophonie, Les langues de scolarisation en Afrique. Études pays, AUF / Editions des archives contemporaines, 2010.
- Toleffson James W., Language policies in education, Routledge, 2013.
- UNESCO, Éducation pour tous. L’alphabétisation, un enjeu vital, Éditions UNESCO, 2006.