Depuis 2012, l’enseignement bilingue francophone, qui concerne plus de 50 établissements en Égypte, constitue une priorité des actions de coopération éducative de l’Institut français d’Égypte (IFE). Claude Buono, attachée de coopération pour le français, revient sur le plan d’action mis en œuvre en faveur de l’amélioration de la qualité de cet enseignement, qui vise à la fois la professionnalisation des équipes de direction des établissements bilingues et l’évolution des pratiques pédagogiques des enseignants de français et de disciplines.
L’enseignement bilingue constitue une priorité des actions du service de coopération éducative de l’Institut français d’Égypte depuis quelques années. Pourquoi ce choix ?
En effet, depuis 2012, nous avons accentué notre coopération éducative vers ce vaste réseau bilingue francophone égyptien qui scolarise plus de 41 000 élèves, principalement au Caire et à Alexandrie. Auparavant, notre action était en priorité orientée vers les établissements à programmes français : lycée français (AEFE), établissements adhérents à la Mission laïque française (MLF), écoles "d’investissement".
Entre 2005 et 2009, en réponse à une importante demande de scolarisation dans notre système scolaire, des sections menant au baccalauréat français ont été créées dans quatre grands établissements confessionnels bilingues du Caire, deux pour les filles et deux pour les garçons. Notre action durant cette période s’est donc principalement concentrée sur l’aide à la création de ces nouvelles sections et sur le suivi des établissements à programme français, notre "premier cercle".
Ces établissements ont progressivement obtenu une homologation du ministère de l’Éducation nationale français et nous arrivons aujourd’hui au terme de ce cycle d’homologation pour ces 11 établissements ou sections qui scolarisent 6 250 élèves. Un fonctionnement en réseau au sein du dispositif régional de mutualisation avec l’AEFE et la MLF nous a permis dès 2012 de recentrer nos actions sur un réseau bilingue qui constituait jusque-là notre "deuxième cercle". Celui-ci ne manquait pas de se manifester en nous sollicitant pour un suivi, du soutien et un accompagnement, afin que les équipes pédagogiques, soucieuses de maintenir un niveau de langue et de culture françaises auxquelles elles sont particulièrement attachées, puissent répondre à leur ambition.
Les établissements bilingues francophones représentent en Égypte le socle d’une francophonie encore bien vivante.
Avec plus de 50 établissements majoritairement confessionnels catholiques, la première langue vivante enseignée est le français, dès la maternelle, et l’enseignement des mathématiques et des sciences se fait en français. Ils représentent en Égypte le socle d’une francophonie encore bien vivante.
Une réorientation de notre coopération éducative, donc, qui nous réconcilie avec un réseau hétérogène, aux besoins nombreux et diversifiés, qu’il s’agisse des "confessionnels", des "lycées al-Horreya" (semi-publics, gérés par les Instituts nationaux, ces anciens lycées de la MLF furent nationalisés sous Nasser) ou des "investissements".
Plusieurs établissements bilingues se sont engagés dans une démarche qualité depuis 2012, à l’initiative de l’Institut français d’Égypte. Quelles résistances et quels succès avez-vous rencontrés sur cette problématique ?
Les visites systématiques des établissements bilingues que nous avons menées en 2012 nous ont permis de dresser un premier état des lieux du fonctionnement de ce réseau et des pratiques pédagogiques des enseignants. Deux grands axes de travail prioritaires ont alors été identifiés en réponse aux besoins : professionnaliser les équipes de direction pour un pilotage efficace des écoles et faire évoluer les pratiques des enseignants de français et de DNL [1]. Afin d’affiner notre expertise, nous avons sollicité le Centre international d’études pédagogiques (CIEP) dont les experts dans le domaine du bilingue ont audité un grand nombre d’écoles bilingues en 2013, puis ont élaboré un « Référentiel de la démarche qualité » adapté au bilingue en Égypte, que nous avons validé. Convaincus par cette démarche qui ouvre la voie à l’amélioration continue du fonctionnement de leurs écoles, de nombreux chefs d’établissements, entourés de leurs équipes, se sont portés volontaires pour se lancer dans l’aventure. Nous avons ainsi intégré ce volet « Implantation d’une démarche qualité » dans notre projet global, élaboré et mis en œuvre à travers le Projet bilingue [2], projet triennal avec une thématique annuelle et plus d’une dizaine d’actions par an en direction des personnels.
La professionnalisation des équipes de direction et l’évolution des pratiques des enseignants de français et de DNL constituent les deux axes de travail prioritaires.
Ce sont au total 11 établissements du Caire et d’Alexandrie que nous avons retenus en 2013 ou en 2014 pour la démarche qualité et comme le constate notre expert du CIEP, Pierre-Yves Roux, qui pilote cette action en Égypte, 10 établissements sont parvenus à s’approprier la démarche et à élaborer un plan d’action, perfectible pour certains, parfois trop ambitieux, mais toujours à la recherche de progrès et d’innovation. Deux établissements nous ont d’ores et déjà demandé d’intégrer le groupe et nous envisageons d’y associer deux autres écoles pour l’année 2015, ce qui porterait le nombre d’écoles engagées dans la démarche qualité à 15.

Comment ce projet s’est-il décliné en termes d’actions de formation et d’expertise ?
Au cours de l’action "Implémentation d’une démarche qualité" du Projet bilingue 2013, les experts du CIEP se sont attachés à observer les établissements dans les domaines institutionnel, communicationnel, organisationnel et pédagogique. Deux journées par établissement ont été consacrées à cette expertise par Marjorie Pegourié-Khellef, Manon Hübscher et Pierre-Yves Roux pour six écoles impliquées au Caire et à Alexandrie. Les écoles se sont autoévaluées et ont ensuite mis en regard leur propre évaluation à celle des experts, selon des grilles de critères identiques et inscrits dans un référentiel de la démarche qualité. Ont suivi pour ce groupe des interventions sur la "Démarche qualité, de l’évaluation au plan d’actions" afin de programmer les actions d’un projet d’école en réponse aux axes de progrès identifiés.
En 2014, dans le cadre d’une conférence lors du séminaire d’ouverture du Projet bilingue 2014, Jean-François Rochard a présenté la démarche à un public constitué de plus de 350 professionnels du bilingue, motivant ainsi cinq écoles pour lesquelles nous avons validé la demande d’engagement dans la démarche.
Celles-ci ont alors mené une autoévaluation, comparée ensuite à l’évaluation externe, et comme leurs collègues, dans chaque école, une équipe de cadres disciplinaires et interdisciplinaires, réunis autour de l’équipe de direction, pilote le travail accompagnée par le CIEP et l’IFE.
La cohérence du projet tient au fait que toutes les actions sont liées à cette finalité d’amélioration continue du fonctionnement de l’établissement.
La cohérence du projet tient au fait que toutes les actions du Projet bilingue sont liées à cette finalité d’amélioration continue du fonctionnement de l’établissement, dont certains cadres des écoles ont souscrit dès novembre 2013 lors d’une formation à Sèvres "Piloter un établissement scolaire bilingue". Tout au long de l’année, formations et ateliers sont mis en œuvre, selon des thématiques liées aux critères d’évaluation d’une école efficace : pratiques et modalités de l’enseignement du français, articulation langue française / DNL, usages du numérique, centres de ressources, interdisciplinarité… Tous ces dispositifs sont observables dans la démarche qualité. Aussi, les actions de formation au Caire, à Alexandrie, à Sèvres, réunissent, selon la thématique, des équipes disciplinaires ou interdisciplinaires et s’adressent à toutes les écoles ou au contraire ciblent un public aux besoins particuliers. En cela, les écoles engagées dans la démarche qualité et les actions qu’elles mettent en œuvre deviennent un exemple à suivre pour toutes les écoles du réseau bilingue. Les outils tels les référentiels de compétences des professeurs, élaborés lors des ateliers au Caire ou les référentiels linguistiques pour le primaire, ont été largement diffusés dans le réseau, permettant à tous de les adapter à un contexte particulier.

En 2014, les bibliothèques et le numérique ont été au cœur des actions menées en direction des établissements bilingues. Pourquoi ce choix ? Quel bilan pouvez-vous tirer des actions qui ont été menées sur ces problématiques ?
Le système éducatif égyptien et les écoles bilingues francophones dans une moindre mesure privilégient un enseignement frontal, des cours magistraux et l’apprentissage par cœur. Très peu de place est accordée à la réflexion, à la recherche personnelle, à la lecture ou au travail sur documents.
Un deuxième constat était une demande récurrente de la part des enseignants, des coordinateurs de français et des chefs d’établissements, d’aide dans la transmission de la culture francophone, argumentant que les nouvelles générations de professeurs étaient démunis sur cette question.
Les fonds documentaires sont inexistants ou totalement désuets.
Les bibliothèques d’écoles - pour ne pas dire CDI [3], BCD [4], médiathèque ou centre de ressources -, ces termes étant en total décalage avec la réalité du terrain, sont en très grande majorité des espaces non adaptés, aux fonds documentaires inexistants ou totalement désuets. Les personnels ne sont pas formés.

Face à cette situation alarmante, une prise de conscience des équipes et des faisant fonction de bibliothécaires était urgente. Il s’agissait pour nous de faire comprendre en quoi et comment ces espaces, complémentaires de la salle de classe et ouverts au monde, devaient évoluer. Nous avons alors programmé dans le cadre du projet bilingue 2014 des formations pour ces personnels sur la "Gestion et animation d’une bibliothèque d’école bilingue" qui seront poursuivies en 2015 avec des formations sur un logiciel documentaire. Par ailleurs l’IFE / ambassade de France a fait une dotation conséquente aux 11 écoles impliquées sur cette thématique.
Les écoles sont très bien équipées, mais les enseignants sont peu formés aux usages de TICE.
La problématique autour du numérique est différente. Les écoles sont souvent bien, voire très bien dotées en matériel informatique : salles équipées, nombreux TBI [5] et les publics adolescents et adultes utilisent volontiers les réseaux sociaux dans leur quotidien. En revanche, la grande majorité des enseignants est peu compétente pour les usages de ces outils dans le cadre de leur enseignement. Nous répondons, dans la mesure du possible à ces besoins par des ateliers et formations dans le cadre de modules de courte durée et le plus souvent pour des équipes d’établissement.
Quelles sont les perspectives qui se dessinent pour l’enseignement bilingue en Égypte en 2015 et dans les années à venir ?
Tout comme le travail sur la langue à enseigner et son articulation avec les DNL, la bibliothèque d’école et l’exploitation de documents sous format papier ou numérique sont des thèmes qui mériteraient d’être approfondis dans les années à venir, toujours dans un contexte d’amélioration continue de la qualité des écoles bilingues francophones. Le Projet bilingue 2015, tout en poursuivant les actions sur ces sujets, introduira les questions d’évaluation.
Nous devrons nous efforcer dans les années à venir de favoriser les liens entre les membres de ce réseau. Mutualisation, partage d’expériences et d’outils restent marginaux tant au sein des écoles elles-mêmes qu’au sein du réseau bilingue, constitué lui-même de types d’écoles différentes. Les rencontres comme le séminaire annuel favorisent déjà ces contacts, et bon nombre de participants s’en félicitent, mais cela reste insuffisant. L’effet levier des 15 écoles impliquées dans la démarche qualité peut jouer un rôle moteur dans la démultiplication des formations et le partage d’expériences pour l’ensemble des écoles bilingues francophones en Égypte.
[1] DNL : disciplines non linguistiques (mathématiques et sciences en Égypte).
[2] Projet bilingue 2013 : « Améliorer la qualité de l’enseignement bilingue francophone en Égypte ».
Projet bilingue 2014 : « Les bibliothèques et le numérique au service de la qualité de l’enseignement bilingue francophone en Égypte».
Le Projet bilingue 2015 se concentrera sur les questions d’évaluation.
[3] Centre d’information et de documentation (CDI)